Yves GARY Affichages : 4560
Catégorie : 1885 : DEFI N°5
Le matin du 7 septembre un brouillard épais était suspendu au-dessus de la baie de New York, couvrant les coureurs et une grande flotte de bateaux accompagnateurs chargés d'une foule patriotique et enthousiaste de touristes, qui essayaient de trouver leur chemin vers Sandy-Hook.
Le brouillard s’était un peu atténué quand ils sont arrivés au bateau-phare mais il n'y avait pas de vent et après avoir patienté quelques heures le signal de départ a été donné à 13h35. Il n'y avait pas assez de brise pour continuer et la course a finalement été reportée au lendemain.
Les yachts étaient à nouveau prêts pour le départ le lendemain matin et une bonne brise soufflait près du bateau-phare, laissant espérer une course excellente. Le signal préparatoire a été donné à 11h32 et les deux bateaux se sont légèrement rapprochés de la ligne pour être en bonne position au coup de canon. Dans ces manœuvres de départ, Puritan, bâbord amure, a essayé de bluffer le capitaine anglais qui avait le droit de passage mais son skipper a mal calculé la distance. Le beaupré de Puritan passait à travers la grand-voile du Genesta et était cassé net par le bord de chute. Il s'en suivit un désordre assez inhabituel au départ d'une course internationale qui aurait pu entraîner toutes sortes d'ennuis et de mauvais sentiments. Mais Sir Richard Sutton, le jeune propriétaire de Genesta, est resté calme dans cette situation.
Le bateau comité est allé le long de Genesta pour évaluer l'étendue des dommages et a averti l’équipage que Puritan était disqualifié car incontestablement en faute, précisant que si Genesta effectuait le parcours et finissait dans le temps limite de sept heures, il remporterait la course. M. Roosevelt Schuyler, le représentant américain à bord, a demandé au comité si on leur accordait le temps de gréer un nouveau beaupré lorsque Sir Richard Sutton coupa : “Nous sommes bien obligés, mais nous ne voulons pas cette solution. Nous sommes venus pour faire une course, pas une croisière.”
Le Comité a apprécié cette grande sportivité qui a apporté au propriétaire de Genesta une énorme popularité dans tout le pays. Il aurait pu effectué le parcours et remporter la course sans aucun doute, Puritan étant tout à fait en tort, mais il a préféré le contraire.
Du temps a été accordé aux deux bateaux pour réparer les dommages et la première manche a été renvoyée au 11 septembre, le départ étant de nouveau fixé au bateau-phare avec un bord de vingt miles au vent et retour. Il y avait un léger vent d'est mais beaucoup de clapot, ce qui semblait gêner un peu Puritan. Après le départ donné à 11h35, le vent est progressivement tombé et il était plus de dix-huit heures quand Puritan arrondit la marque extérieure. Il a ensuite été évident que les yachts ne pourraient pas finir dans le temps limite et la course a été annulée, avec Genesta environ un mile en arrière.
Ces reports étaient lassants et la course suivante a été fixée au 14 septembre. Il y avait une petite brise sud-ouest et la course a finalement été courue. Cette fois, c’était un parcours "inside", départ au large du cap de la Chouette, aller virer le bateau-phare de Sandy-Hook et retour sur une distance de trente-huit miles nautiques.
Le signal du départ a été donné du remorqueur Luckenback à 10h30 alors que Genesta était trop sous le vent de la ligne où il avait été entraîné par la forte marée montante. Puritan, dans une meilleure position, partit en tête et les deux bateaux ont commencé à descendre la baie, suivis par la flotte toujours présente de yachts accompagnateurs. Genesta a été un peu gêné sur un virement de bord par une petite barque et quand ils passèrent le Fort Wadsworth le bateau américain avait une avance d'environ sept minutes.
Dans le bas de la baie le vent était instable, avec parfois de bonnes rafales et de nouveau des petits airs obligeant les bateaux à manœuvrer beaucoup jusqu'à South-West Spit, Puritan ayant à ce moment-là une avance de trois minutes. Puis, ils ont accéléré au portant avec de l'eau jusqu'aux dalots. Au large du cap de Hook, la flotte des bateaux d'excursion s'approchait trop près de Genesta pour donner une bonne vue à leurs passagers, causant l'angoisse du capitaine et le retardant sans doute son peu. Puritan arrondit le bateau-phare à 14h14mn54s, Genesta passant 4 minutes et 22 secondes après. C'était de nouveau un bord de près vers Sandy-Hook avec un petit contre-bord pour aller chercher la bouée, puis un long bord au portant vers la ligne d'arrivée que Genesta fit sous spinnaker. Le vent n'a pas cessé de tomber et Genesta a perdu du terrain, il avait un mile de retard quand Puritan franchit la ligne à 16 h 38 mn 05 s dans une final terne et décevant. Les résultats officiels s’établissaient comme suit:
Après une journée de repos, les deux bateaux se sont retrouvés le 16 septembre sur la ligne établie au large du Scotland lightship, prêts pour la bataille décisive. Il y avait un noroît frais d'automne qui soufflait, soulevant les crêtes des vagues. Le parcours consistait en un bord de vingt-miles sous le vent et retour, avec toutes les promesses d'une bonne course.
Se rappelant son mauvais départ dans la course précédente, le capitaine Carter du Genesta a gardé son navire près de la ligne de sorte qu'il est parti juste seize secondes après le coup de canon et quarante-cinq secondes avant le sloop américain. Les deux bateaux ont envoyé leur immense spinnaker, mais Puritan était trop loin pour déventer Genesta et le cotre étroit glissait dans l'eau si vite que les espoirs patriotiques de la flotte accompagnatrice diminuaient, il était devenu évident que le sloop yankee resterait derrière. Les deux bateaux naviguaient à une dizaine de dix nœuds mais, comme ils approchaient de la marque extérieure, le vent fraîchit considérablement et ils ont établi les huniers pour le bord de retour. Genesta affala son spinnaker élégamment en arrondissant la marque où il avait environ deux cents mètres d'avance.
Une fois au près, les deux bateaux ont senti la force réelle du vent qui soufflait maintenant en rafales et la mer est devenue rapidement plus dure. Genesta établit sa voile de flèche qui fasseyait beaucoup, alors que Puritan préféra affaler cette voile et descendre son mât de flèche, l'équipage réalisant du très bon travail. Les deux bateaux ont tiré un bord le long de la côte de Long Island où la mer était un peu moins grosse et Puritan reprenait du terrain au vent du cotre trop voilé. C'était la première fois qu'on pouvait voir un cotre dans une telle brise et tout le monde était étonné de la façon dont Genesta se comportait dans les rafales qui soufflaient désormais à trente nœuds.
Aux environs de quinze heures les deux bateaux étaient par le travers au large de Long Beach mais Puritan était trois quarts de mile au vent. Puis le vent a tourné vers le nord et Puritan a viré de bord vers la côte de Jersey, suivi par le cotre. C'est l'avis de la plupart des plaisanciers que Genesta a laissé passer sa chance en conservant son hunier. Pourquoi le capitaine Carter, qui autrement a montré un excellent jugement, s'est-il entêté sur ce choix ?
Comme ils approchaient du bateau-phare, il devenait évident que l'arrivée serait très serrée, mais Puritan étant au vent a commencé à abattre vers la ligne, laissant derrière lui un sillage comme un paquebot, et coupa la ligne avec un peu plus de deux minutes d'avance sur Genesta, ce temps étant réduit en temps compensé à 1 minute 38 secondes, comme le montre le tableau ci-dessous:
C'était une très belle course, la plus émouvante et le plus serrée pour la Coupe jusqu'à ce jour, et bienheureux sont ceux qui ont eu la chance de suivre les coureurs pendant ce jour d'automne venteux et de les voir se battre. Quand Genesta franchit la ligne dans le sillage de Puritan, vaincu, mais pas découragé, elle lofa le long du gagnant et son équipage adressa three generous British cheers au vainqueur, lequel retourna en chœur three Yankee ones du capitaine Aubrey Crocker et de son équipage.
Ainsi se termina la course la plus satisfaisante de l'histoire de la Coupe. Le généreux propriétaire de Genesta, Sir Richard Sutton, est resté dans ce pays environ trois semaines, et avec une confiance sans bornes dans son yacht a essayé d'organiser un autre match avec Puritan. M. Forbes, propriétaire-gérant de ce dernier, refusa croyant que le Puritan avait rempli sa mission en défendant la Coupe avec succès.
Genesta n'est pas rentré à la maison les mains vides, elle a remporté les prix de Bennett et Douglas dans des courses arrangées les semaines suivantes et aussi la Brenton Reef Cup et le Cape May Challenge sur deux longues courses océaniques contre la goélette Dauntless. Le 9 octobre, elle prit le chemin du retour sous gréement de fortune, faisant une traversée rapide, compte tenu des vents durs qu'elle a rencontrés, en 19 jours 10 heures à Gosport, en Angleterre. Elle se montra un robuste bateau très marin, comme en témoigne l'extrait suivant d'une lettre écrite à un ami par le capitaine Saunders, son navigateur :
Genesta est une merveille. Je n'ai jamais vu un bateau pareil. Le voyage a été pour moi une série continuelle de surprises pour ses merveilleuses performances dans des circonstances défavorables. Nous avons eu de forts vents contraires presque sur tout le parcours avec une mer agitée et il était étonnant de voir ce petit diable passer à travers. Elle a parcouru les 3300 miles en 19 jours 10 heures à une moyenne d'environ sept nœuds, contre des grosses mers tout le long du chemin.
Toute la traversée a été faite sous ris à l'exception de deux ou trois brefs moments seulement. Le comportement du bateau tout au long a été bon. Il n'aurait pas pu être mieux et chaque jour la confiance en lui augmentait.
En ce qui concerne Puritan qui a permis de conserver la Coupe America dans ce pays grâce à la réalisation de nouvelles idées dans la conception des yachts, il a été vendu aux enchères le 23 Septembre à J. Malcolm Forbes, pour seulement $13 500. Il est resté sa propriété pendant de nombreuses années et a navigué sous deux gréements, sloop puis goélette, jusqu'à ce que son propriétaire le vende à des portugais des îles du Cap-Vert qui l'ont utilisé longtemps pour le transport de fret et de passagers entre New Bedford, Massachusetts et leurs îles. Jusqu'à une époque très récente, ils effectuaient deux voyages par an à travers l'océan et l'habitaient le reste du temps.